Les filles de Monroe – ANTOINE VOLODINE

Les filles de Monroe, est le dernier ouvrage d’Antoine Volodine . Publié au Seuil dans la collection Fiction et Cie. Lauréat du Grand prix de l’imaginaire 1987 pour Rituel du mépris, et du Prix Médicis 2014 pour Terminus radieux, Volodine est le fondateur du mouvement littéraire (qui n’en est pas un) le « post-exotisme »: terme qu’il invente alors qu’il publie chez Denoël dans la mythique collection Présence du futur et refuse l’étiquette d’écrivain de Science-Fiction… Quarante-cinquième ouvrage post-exotique sur les quarante-neuf annoncés, la fin de
l’aventure approche.

Les filles de Monroe c’est un peu comme si En attendant Godot rencontrait 1984. Le roman de Volodine nous plonge dans un univers profondément mélancolique et étrange où le réel n’est pas certain et la ballade m’a beaucoup plus !

Les personnages sont des schizophrènes, des soignants/gardiens d’asile, des hommes et femmes du « Parti » (dirigeants, agents de police ou autres sbires). Tous ces acteurs peuvent être vivants ou bien morts et certains passeront de l’un à l’autre ! Le cadre : une cité-asile immense et quasiment vide où il pleut sans cesse et qui semble contenir l’intégralité de ce qui reste de l’humanité (c’est à dire pas grand chose).

Les « filles Monroe » dans tous cela ? Ce sont des mortes, que Monroe, un ancien dignitaire du Parti, lui même décédé, renvoie depuis l’au delà dans notre monde afin d’effectuer une mystérieuse mission. On s’inquiète dans les hautes sphères du Parti, contrecarrer les plans de Monroe quels qu’ils soient est une priorité.

Notre plongée dans l’univers post-exotique de Volodine débute alors que Breton (un schizophrène de la cité psychiatrique)  et sa deuxième personnalité, regardent par la fenêtre de leur chambre en utilisant des « lunettes de Hirsh ». Cet appareil leur permet d’observer (télépathiquement ?) la fameuse rue Dellwo, une rue qui ne se situe pas directement sous leur fenêtre mais quelque par ailleurs dans la cité-asile. C’est après une longue observation qu’ils sont témoins de la « naissance » (comprendre irruption dans notre monde) d’une des « filles de Monroe »… Très vite les enquêteurs du Parti, vont venir mettre la pression au pauvre hère pour lui soutirer des informations. Où se situe donc la rue Dellwo ? Que viennent faire ces agents envoyés depuis le monde des morts  ?

Monroe, ancien leader idéologique au sein du Parti fut exécuté sur ordre du Comité central, puis réhabilité de manière posthume. Cherche-t-il a interférer dans le but de se venger ? C’est ce que l’inspecteur Kaytel va devoir découvrir…

Breton le schizophrène cosmonaute, Borgmeister le chamane, Kaytel l’inspecteur de police désabusé, tous sont au bord du précipice mental et sont dépeints dans un style dense, mais fluide et efficace.

J’ai trouvé particulier et intéressant dans la narration, cette attention portée à de micro-évènements, un geste, une pensée fugace, un regard… Chaque scène est comme un instantané photographique, un moment presque figé dans l’espace et le temps. Une impression de lenteur se dégage de l’action, le poids de la solitude s’exerce sur nos épaules en même temps que sur les acteurs. Le lecteur est comme plongé dans le brouillard de la pensée des protagonistes et doit démêler le vrai du faux, le présent et le passé, et continuer à avancer à travers les rues désertes de la cité grise. Immersion totale sous une pluie battante dans un univers aussi absurde qu’intriguant.

Volodine parvient à attirer le public dans ce « Nous » qui parcoure l’œuvre et qui est au cœur de la démarche post-exotique. Ce « Nous », c’est en premier lieu le pronom que Breton le narrateur principal utilise pour parler du duo qu’il forme avec son alter égo. J’y ai vu un parallèle avec le « Nous » que Volodine emploie dans ses interventions pour parler de l’ensemble qu’il forme avec les autres auteurs post-exotiques (Elli Kronauer, Manuela Draeger, Lutz Bassmann). Ces différentes signatures ne sont que des avatars de Volodine lui-même, mais il leur invente des différences de style d’écriture, de personnalité, de thématiques etc… C’est enfin le « Nous » que nous autres lecteurs formons avec les auteurs et les personnages. Au final c’est sans doute ce dernier ensemble qui est le plus important, « Nous » sommes ceux qui s’interrogeons face à la mort, errons parfois dans les rues-méandres de nos pensées, tantôt certains, tantôt fébriles, sûrs d’arpenter le chemin, incertains quant à la direction… Volodine nous offre un roman qui résonne avec notre humanité et qui la questionne dans le contexte d’un monde qui ne fait plus sens.

Bon, j’aurais quand même un reproche presque idéologique à émettre : refuser l’étiquette d’écrivain de SF/Fantastique, c’est participer à la dépréciation de ces genres, à les déconsidérer. Il aurait été plus courageux de porter haut leurs couleurs et d’en affirmer la place légitime dans le paysage littéraire. C’est dommage… J’aurais également apprécié que les technologies utilisées -à l’instar des lunettes de Hirsch- soit un minimum expliquées ou détaillées, cela aurait permit d’étoffer le worldbuilding, de donner un peu plus de consistance à l’univers.

Il s’agissait d’une première plongée pour moi dans l’aventure et l’univers du post-exotisme et j’en ressors avec l’envie d’en lire d’avantage ! Je vous recommande vivement la lecture de cet ouvrage qui je le crois est un bon point d’entrée dans le corpus post-exotique. Attendez-vous à d’autres billets sur Volodine et consorts prochainement 😉

Mots appris pendant ma lecture :

  • Sabir : Un sabir désigne une langue née du contact entre des locuteurs parlant des langues maternelles différentes placés devant la nécessité de communiquer (employé dans son usage péjoratif dans le livre : synonyme de charabia)
  • Insane : qui n’est pas sain d’esprit (je connaissais l’adjectif en anglais mais pas en français)

Pour plus d’information sur le post-exotisme : Wiki

Ailleurs sur la blogosphère : Charybde 27

A l’autre bout de la mer – Giulio CAVALLI

« Ce n’est pas un cadavre de notre monde, monsieur le commissaire »

Autant vous prévenir tout de suite : A l’autre bout de la mer de Giulio Cavalli, traduit de l’italien par Lise Caillat pour les Editions de l’Observatoire, est l’une de mes claques littéraires de 2021 ! Un roman tellement puissant que je me suis empressée d’en parler à tout mon entourage dès sa lecture finie. Il était donc tout naturel pour moi d’en faire ma première chronique sur ce blog.

Difficile de vous faire un résumé de ce livre sans dévoiler toute l’intrigue et ses rebondissements glaçants, mais je vais tenter.

L’histoire se déroule dans une petite ville de bord de mer en Italie, nommée DF. Un beau matin, l’un de ses habitants, le pêcheur Giovanni Ventimiglia, trouve le corps sans vie d’un jeune homme sur le port en arrimant son bateau. Quelques jours plus tard, c’est mademoiselle Lilly qui découvre un cadavre échoué sur la plage. Un troisième mort fera surface aux abords de la ville. Puis un quatrième… Au fil des jours, un flot de corps se déverse sur DF.

Mais ce qui inquiète le plus la police, c’est que tous ces corps anonymes présentent des caractéristiques physiques similaires, et ils ne sont pas « de notre monde », ils viennent « de l’autre côté de la mer ». Ainsi, la mer, qui faisait habituellement vivre la ville de pêcheurs, va devenir source d’inquiétude et d’angoisse. La police ne trouve pas d’explication logique à cette déferlante de cadavres qui va changer la vie de DF en profondeur.

Giulio Cavalli alterne les points de vue à chaque chapitre. Par l’écriture, le vocabulaire et le style, il nous fait entendre les voix des différents habitants, que ce soit le vieux pêcheur aux fins de mois difficiles, l’inspecteur, le prêtre, la starlette avide de projecteurs, le journaliste local, la jeune femme révoltée, le politique ambitieux ou encore l’homme d’affaires qui cherche à profiter des événements. Au fil des pages nous pouvons voir les réactions et l’évolution des opinions des habitants face à ces cadavres qui s’accumulent.

Désemparée face à ce qu’elle considère comme un fléau, la municipalité va chercher des solutions et mettre en place des stratégies plus effroyables les unes que les autres pour tenter de gérer la situation. C’est à partir de ce moment que le roman se transforme en une véritable dystopie aussi sombre que dérangeante.

Avec A l’autre bout de la mer, Giulio Cavalli signe un roman glaçant et engagé. J’ai été totalement séduite par l’écriture de Giulio Cavalli (par le biais de la traduction de Lise Caillat!) mais je reconnais que celle-ci pourrait en dérouter certain.e.s, principalement dans la première partie où les phrases sont plutôt longues avec des parties de dialogues insérées directement dans le corps du texte. Mais c’est aussi selon moi ce qui permet de prendre le lecteur à la gorge. Nous sommes happé.e.s par le flot continu de parole et de pensées qui souligne l’engrenage implacable que semblent prendre les événements.

Sans jamais en parler de manière explicite, l’auteur aborde la problématique de l’immigration. Il dénonce ainsi la déshumanisation de l’Autre quand celui n’est plus vu comme un être humain mais comme un problème à résoudre, un chiffre parmi des statistiques. Le roman nous fait aussi réfléchir face à la résilience et l’aseptisation de chacun vis-à-vis de certaines situations pourtant horribles : quand on commence à s’habituer à tout, comment reconnaitre l’inacceptable ?

Ce roman de Giulio Cavalli m’a absolument bouleversé. Il rejoint la liste des livres qui m’ont marqué dans la vie et dont je me souviendrai encore dans plusieurs années. C’est certes une lecture qui peut être difficile et dérangeante, notamment parce que le sort des migrants n’est pas traité de manière empathique. Mais je trouve que c’est justement là la force du roman. C’est par ce biais que Cavalli nous plonge en tant que lecteur dans le cynisme et l’horreur de ce que peut être la société quand elle cède à la peur, et quand la politique répond aux logiques capitalistes et aux dérives populistes. Mais c’est aussi comme cela que l’auteur nous fait questionne en tant que citoyen sur notre place dans la société.

Et si je ne vous ai pas encore convaincu.e de commencer A l’autre bout de la mer, sachez que j’avais emprunté le livre à la bibliothèque mais que j’ai décidé de me l’acheter après l’avoir lu car il était primordial pour moi de l’avoir dans ma collection personnelle. C’est dire si je trouve cette lecture indispensable.

Pour découvrir d’autres avis sur ce livre (qui, attention, peuvent dévoiler beaucoup plus de l’intrigue que je ne l’ai fait) je vous invite à découvrir les chroniques de Mangeurdelivres, de Quintessencelivres et de Célittérature.