Blackwater T.2 : La Digue, le feuilleton continue…

Ce billet considère que vous avez déjà lu le tome 1 de la saga Caskey (l’avis de Dolorès ici)

Nous repartons pour l’Alabama des années 1920, à la confluence de nos deux cours d’eau favoris que nous avons laissés de coté pendant quinze jours et au bout de quinze pages… boum !… nous nous retrouvons à nouveau happés dans les rapides et les méandres des intrigues familiales des Caskey.

Nous avions laissé les protagonistes au moment où Elinor et Oscar laissent leur enfant à Mary-Love et Sister « en échange » du droit d’emménager enfin dans la maison que la matriarche avait faite construire pour eux. C’est donc là que vivent désormais la toujours aussi inquiétante Elinor et le passif Oscar. N’étant plus obligée de vivre sous le même toit que sa terrible belle-mère, les tensions entre les deux femmes vont elles pouvoir s’apaiser ? Ce sera un des thèmes de ce nouvel opus.

L’élément central de ce second volet reste néanmoins le projet de construction de la fameuse digue qui donne son nom à cet épisode de la saga. Nous savons à quel point Elinor est contre l’élévation de ce rempart, adviendra-t-il tout de même ? Early Haskew, l’ingénieur, fait son retour en ville, devient un des personnages principaux du récit et constitue un formidable apport au casting du feuilleton. Un homme étranger à la ville, à la famille Caskey et à leurs guerres intestines, fait l’effet d’un vent de fraîcheur bienvenu. Faux-pas et incompréhensions sont au menu !

En bref : Nous accrochons toujours autant ! L’écriture simple et efficace, volonté de l’auteur, touche encore une fois juste et permet « l’engloutissement » en une ou deux session de ce tome 2. Le focus sur les personnages conduit à une exploration moindre du cadre social plus large de la ville, mais nous pousse à nous intéresser et à nous attacher aux protagonistes. Une place plus importante que dans le précédent tome est d’ailleurs laissée à certains d’entre eux (comme Sister ) et ce n’est pas pour nous déplaire.

Le soin apporté par l’éditeur est à nouveau au rendez-vous, le livre est un très bel objet !

L’épisode trois de la série sort aujourd’hui et le rush à la librairie en sortant du travail s’impose je le crois !


Blackwater T.2 : La Digue , Michael McDowell , éditions Monsieur Toussaint l’Ouverture, 244 pages, 8,40€ (Merci)


Ailleurs sur la blogosphère : L’Ours Inculte,

« Le livre écorné de ma vie » de Lucius Shepard – Plongée dans les eaux troubles du Mékong

Le livre écorné de ma vie est une novella de l’écrivain américain Lucius Shepard. Sortie en 2009, elle a été traduite en 2021 au sein de l’inénarrable collection Une heure lumière du Belial.

Je suis le commandant Shepard, et cet auteur est mon préféré de la Citadelle

Personnellement, je n’avais jamais entendu parler de Lucius Shepard. C’est un auteur apparemment très reconnu outre-atlantique, avec de multiples prix prestigieux à son palmarès (Hugo, Nebula, Locus, World Fantasy Award). Surtout, la vie du bonhomme a été marquée par de multiples voyages à travers le monde. Vietnam, Egypte, Honduras, Allemagne… Lucius Shepard a crapahuté partout et exercé une palanquée de métiers. Vous allez voir que cette expérience de globe trotter est importante à considérer pour aborder Le livre écorné de ma vie. On se situe entre le récit d’aventure et le fantastique, au sens où l’on ne peut déterminer avec certitude si les phénomènes observés relèvent du surnaturel ou de l’illusion des personnages.

Résumé de l’intrigue

Thomas Cradle est un auteur de science-fiction à succès. Sa vie est confortable, mais il s’ennuie. Tout commence lorsqu’il découvre en surfant sur Amazon un roman écrit par un écrivain portant exactement le même nom que lui. Cradle n’a pourtant jamais entendu parler d’un auteur homonyme. Pire, il semble que le style du roman donne dans l’horreur et le fantastique, genres de prédilection de Thomas Cradle ! Cet homonyme partage en plus les mêmes date et ville de naissance… Piqué par la curiosité, notre héros commande le mystérieux roman et le reçoit quelques jours plus tard. La lecture s’avère encore plus troublante : il y reconnaît le style d’écriture torturé de ses débuts dans la littérature, dénué du formatage imposé par son éditeur par la suite. L’histoire elle-même parle d’un certain T.C. qui entreprend un voyage en bateau sur les rives du Mékong. Sa direction est la Forêt de thé, une zone obscure située quelque part en aval du fleuve, car il y est poussé par une attraction inexplicable. Son voyage se mue rapidement en une descente vers la folie, faite d’hallucinations maléfiques, de perversions sexuelles, voire de pure violence. Mais le récit se termine sans que l’on sache ce qu’est exactement la Forêt de thé.

Fasciné autant que troublé par ce roman écorné, Thomas Cradle décide de partir pour le Cambodge sur les traces de cet alter ego impossible et de cette mystérieuse Forêt de thé…

Un long fleuve pas si tranquille

Le fleuve agit comme une puissante métaphore afin d’exprimer le bad trip. On a forcément en tête le Styx, le fameux cours d’eau de la mythologie grecque qu’il faut emprunter pour passer aux enfers. Dans le cinéma, on peut évoquer Apocalypse Now de Coppola ou encore l’extraordinaire Aguirre la colère de dieu de Herzog, dans lequel on suit un conquistador remonter un fleuve pour trouver l’Eldorado. Une quête aussi vaine que vaniteuse qui se termine dans la mort et la folie. Le fleuve, c’est l’errance dangereuse sur un élément (l’eau) que l’on maîtrise mal. C’est le risque de dériver vers une destination que l’on a pas choisi. Le fleuve est également quelque chose de linéaire, sur lequel le voyage peut vite tourner à la monotonie et plonger dans la torpeur.

Les potentialités narratives du fleuve sont ainsi mise à profit par Lucius Shepard dans sa novella : le Mékong et ses affluents sont le théâtre des délires fiévreux de Cradle, pour qui la réalité se trouble et se superpose avec d’autres univers. Le héros en vient également à consommer de l’opium, fournie par sa compagnonne de voyage Lucy, qu’il utilise comme objet sexuel. Les visions monstrueuses générées par la drogue participent au délire malsain de Cradle, et ne sont pas sans rappeler Lovecraft. Outre cette confusion des sens, le comportement de Cradle devient de plus en plus détestable (égoïsme, manipulations, sexisme), même s’il ne plonge pas aussi loin que d’autres personnages bien particuliers…

Klaus , conquistador complètement zinzin et mégalomane, est ici en difficulté avec une sorte de ouistiti.

Pour rendre compte de ces délires malsains, Lucius Shepard écrit de façon remarquable. Il faut saluer ici l’excellent travail de traduction de Jean-Daniel Brèque. Les phrases sont longues, sinueuses, obsessionnelles. L’auteur recèle une rage en lui et met toutes ses tripes dans son texte. Ses descriptions urbaines (dans les différentes villes-étapes de l’aventure de Cradle) fourmillent de vie et de détails. Shepard connaît bien l’Asie du sud-est du fait de ses voyages et ça se sent. Il a l’art d’extirper l’improbable qui se cache dans de simples scènes de rue, pour le tordre en poésie crade et punk. On a vraiment l’impression d’y être, de perdre les pédales avec le personnage principal.

Le ton est également à charge sur certains sujets. J’ai vu dans ce récit d’aventure une critique ironique des touristes occidentaux en recherche d’exotisme et de sensations fortes, mais qui au final s’enferment dans des hôtels haut de gamme sans chercher à véritablement découvrir le pays dans lequel ils voyagent. Le personnage de Riel est l’incarnation de ce phénomène. Le début de la novella comprend par ailleurs un coup de gueule jubilatoire (bien qu’exagéré) contre le milieu de la blogosphère des critiques en SFFF, c’est assez singulier pour le souligner.

Au rang des défauts, j’aurais apprécié que le voyage dure plus longtemps tellement l’aventure proposée est savoureuse et déroutante. Par ailleurs, les révélations finales ne sont pas renversantes. Rien de grave cependant, c’est le périple qui compte bien plus que sa destination. On tient au final une très bonne novella de fantastique qui se distingue par son écriture viscérale. A placer dans le haut du panier de la collection Une heure lumière !

Autres critiques sur la blogosphère : Just A Word, L’épaule d’Orion, Quoi de neuf sur ma pile ?, Au pays des caves trolls

Netflix massacre Massacre à la tronçonneuse

La plateforme de SVoD nous offre un désastreux périple entre le Texas et le mauvais goût en se la jouant millenials.

En 2018, arrivait dans les salles obscures Halloween, réalisé par David Gordon Green. Ce nouveau long-métrage se voulait un remake du chef-d’oeuvre de Carpenter tout en étant en même temps la suite de ce dernier. Ainsi, Jamie Lee Curtis reprenait son rôle culte de Laurie pour devenir la chasseresse de son némésis, Michael Myers, et obtenir, 40 ans après, sa vengeance, la paix ou les deux. Bien qu’il ne soit pas le premier à être un remake/suite en même temps, ce Halloween lance une vague de films d’horreur qui reprennent la même formule et qui nous hurlent au visage: « Regarde comme je suis méta et conscient que je suis là pour tenter de ressusciter une licence à bout de souffle car il est visiblement impossible d’accoucher des films d’horreur originaux »(aux Etats-Unis), du moins si on ne s’appelle pas James Wan. Si nous ne sommes jamais à l’abri d’une bonne surprise, comme l’excellent Candyman, d’autres long-métrage arrivent à être à côté de la plaque à un point qui force le respect.

Il est laid, le film aussi.

Le film s’ouvre sur un documentaire qui retrace les événements auxquels nous assistons dans le premier Massacre à la tronçonneuse. Quelques minutes suffisent pour nous présenter un groupe de jeunes influenceurs citadins et qui ont pour projet d’acheter une petite ville -rien que ça- texane déserte pour la transformer en une sorte de ZAD mais pour bourgeois. Cette ville, c’est Harlow, décor de meurtres atroces qui ont été commis à la tronçonneuse sur un groupe de jeunes il y a une quarantaine d’années. Notre groupe de personnages principaux doit se rendre dans la ville pour la rendre présentable pour accueillir les futurs investisseurs du projet. Une fois le traditionnel passage à la station service avec l’inquiétant pompiste évacué, nos joyeux lurons arrivent dans le lieu qui nous intéresse.

Seul hic, un drapeau sudiste orne encore une habitation. Voilà qui pourrait faire bien mauvais genre pour l’Instagram de nos chers influenceurs, qui, ni une ni deux, décident de décrocher le dit-drapeau. A l’intérieur de la maison, une vieille femme prétend ne pas voir le mal à afficher un tel drapeau et explique qu’elle refuse de quitter les lieux. Un autre habitant occupe les lieux, mutique et géant. Aussi subtilement qu’un roman de Frédéric Beigbeder, le film nous fait comprendre qu’il s’agit de Leatherface -incroyable retournement n’est-ce pas ?Une crise cardiaque et une mamie morte plus tard, le tueur décide de renouer avec ses vieux vices et d’assassiner sauvagement tout ce qui bouge. Dans le même temps, Sally, final girl du premier volet entend un signal de détresse et comprend que son ancien ennemi a repris du service. Doté d’un arsenal à faire pâlir Rambo, elle décide d’à son tour devenir la chasseresse.

Sans doute une spectatrice du film, mais on a pas de preuve.

Massacre à la tronçonneuse est une saga en dents de scie, pourtant ce nouveau et neuvième volet réussit à atteindre des tréfonds du cinéma d’horreur dans un Tartare que n’atteignent même pas les Ouija ou autres American Nightmare, et ce pas seulement sur la forme mais aussi sur le fond. En effet avec ce long-métrage, le grand penseur-réalisateur David Blue Garcia nous gratifie de son point de vue sur la société. Ainsi, avec ses personnages principaux qui deviendront les victimes de Leatherface, c’est toute la jeunesse américaine que le metteur en scène veut représenter. Ces méchants bobo-gauchistes ont commis le crime de vouloir cancel le drapeau sudiste et devront payer pour ça. Le réalisateur ne cesse de montrer que ces vilains wokes ne sont rien sans leur portable et que les vrais problèmes ne peuvent être réglés que par des texans pur-jus pro-armes qui eux, virils comme les vrais hommes le sont, savent se démerder.

Le long-métrage insiste bien sur le fait que le tueur ne fait que réagir aux actions des personnages principaux, pas l’inverse. C’est la faute des victimes si elles se font tuer. Le parti que prend le réalisateur est clair : les personnages qui sont censés représenter cette jeunesse américaine sont tous incroyablement antipathiques. Leurs meurtres, plus horribles les uns que les autres, sont réalisés avec une légèreté qui laisse peu de doute sur ce que le réalisateur pense des jeunes de son pays. La confrontation entre jeunes progressistes et Leatherface, incarnation du Texas, est pourtant un sujet dont le genre horrifique pourrait s’emparer. Garcia passe cependant complètement à côté en caricaturant ses personnages en bourgeois-influenceurs insupportables, reprenant ainsi les codes de l’extrême-droite américaine qui ne cesse de brailler sur le wokisme ou la cancel culture.

Rare image de wokes en train de cancel un Texan

Le film a la décence de ne faire qu’une heure et vingt minutes, au moins, ça passe plutôt vite. Pourtant, il faut quand même une cinquantaine de minutes aux scénaristes du film pour se rappeler que l’intitulé du long-métrage implique la présence d’une tronçonneuse. Les meurtres, pensés comme dérangeants et dégoutants dans le film original, ne sont ici qu’un amoncellement de scène gores censées nous faire vibrer mais réalisées sans la moindre originalité dans la mise en scène. On pose la caméra à un endroit au hasard, et on regarde l’action passivement. Aucune tension n’est créee -ni même tentée- à aucun moment. Jamais le spectateur n’est inquiet, ne sachant d’où le danger va survenir. Garcia transforme la figure de Leatherface, humain complètement mortel avec (quelques) sentiments, en Michael Myers, figure du mal absolu quasi-invulnérable aux balles de toutes sortes.

Faire revenir Sally était une idée qui aurait pu être une idée intéressante. Les meurtres du film original sont particulièrement atroces, et les épreuves qu’elle traverse à la fin du film ont de quoi faire trembler n’importe qui. Montrer les conséquences de ce vécu 40 ans après aurait pu s’avérer une bonne idée. Le personnage est cependant traité exactement de la même manière que l’est Laurie dans le Halloween de 2018, il méritait mieux qu’une repompe d’un autre film en moins bien. L’interprétation de l’actrice Olwen Fouéré (qui n’est pas l’interprète originale, cette dernière étant décédée) ne sauve rien. D’ailleurs aucun comédien ne tente quoi que se soit pour tenter de remettre le train sur les rails. Conscients de ce dans quoi ils jouent, tous se contentent du minimum, réciter leurs répliques sans aucune volonté de faire passer la moindre émotion.

Aucun rapport mais ce film donne envie de caner

Aux amateurs du premier Massacre à la tronçonneuse ou tout simplement du genre horrifique, on ne saurait trop conseiller de passer leur chemin. Si ce n’est pas encore fait, on vous recommande le récent Halloween ainsi que l’excellent remake/suite de Candyman qui, dans le même genre, réussissent à rendre hommage à l’oeuvre originale tout en inventant quelque chose de nouveau pour la licence.