A l’autre bout de la mer – Giulio CAVALLI

« Ce n’est pas un cadavre de notre monde, monsieur le commissaire »

Autant vous prévenir tout de suite : A l’autre bout de la mer de Giulio Cavalli, traduit de l’italien par Lise Caillat pour les Editions de l’Observatoire, est l’une de mes claques littéraires de 2021 ! Un roman tellement puissant que je me suis empressée d’en parler à tout mon entourage dès sa lecture finie. Il était donc tout naturel pour moi d’en faire ma première chronique sur ce blog.

Difficile de vous faire un résumé de ce livre sans dévoiler toute l’intrigue et ses rebondissements glaçants, mais je vais tenter.

L’histoire se déroule dans une petite ville de bord de mer en Italie, nommée DF. Un beau matin, l’un de ses habitants, le pêcheur Giovanni Ventimiglia, trouve le corps sans vie d’un jeune homme sur le port en arrimant son bateau. Quelques jours plus tard, c’est mademoiselle Lilly qui découvre un cadavre échoué sur la plage. Un troisième mort fera surface aux abords de la ville. Puis un quatrième… Au fil des jours, un flot de corps se déverse sur DF.

Mais ce qui inquiète le plus la police, c’est que tous ces corps anonymes présentent des caractéristiques physiques similaires, et ils ne sont pas « de notre monde », ils viennent « de l’autre côté de la mer ». Ainsi, la mer, qui faisait habituellement vivre la ville de pêcheurs, va devenir source d’inquiétude et d’angoisse. La police ne trouve pas d’explication logique à cette déferlante de cadavres qui va changer la vie de DF en profondeur.

Giulio Cavalli alterne les points de vue à chaque chapitre. Par l’écriture, le vocabulaire et le style, il nous fait entendre les voix des différents habitants, que ce soit le vieux pêcheur aux fins de mois difficiles, l’inspecteur, le prêtre, la starlette avide de projecteurs, le journaliste local, la jeune femme révoltée, le politique ambitieux ou encore l’homme d’affaires qui cherche à profiter des événements. Au fil des pages nous pouvons voir les réactions et l’évolution des opinions des habitants face à ces cadavres qui s’accumulent.

Désemparée face à ce qu’elle considère comme un fléau, la municipalité va chercher des solutions et mettre en place des stratégies plus effroyables les unes que les autres pour tenter de gérer la situation. C’est à partir de ce moment que le roman se transforme en une véritable dystopie aussi sombre que dérangeante.

Avec A l’autre bout de la mer, Giulio Cavalli signe un roman glaçant et engagé. J’ai été totalement séduite par l’écriture de Giulio Cavalli (par le biais de la traduction de Lise Caillat!) mais je reconnais que celle-ci pourrait en dérouter certain.e.s, principalement dans la première partie où les phrases sont plutôt longues avec des parties de dialogues insérées directement dans le corps du texte. Mais c’est aussi selon moi ce qui permet de prendre le lecteur à la gorge. Nous sommes happé.e.s par le flot continu de parole et de pensées qui souligne l’engrenage implacable que semblent prendre les événements.

Sans jamais en parler de manière explicite, l’auteur aborde la problématique de l’immigration. Il dénonce ainsi la déshumanisation de l’Autre quand celui n’est plus vu comme un être humain mais comme un problème à résoudre, un chiffre parmi des statistiques. Le roman nous fait aussi réfléchir face à la résilience et l’aseptisation de chacun vis-à-vis de certaines situations pourtant horribles : quand on commence à s’habituer à tout, comment reconnaitre l’inacceptable ?

Ce roman de Giulio Cavalli m’a absolument bouleversé. Il rejoint la liste des livres qui m’ont marqué dans la vie et dont je me souviendrai encore dans plusieurs années. C’est certes une lecture qui peut être difficile et dérangeante, notamment parce que le sort des migrants n’est pas traité de manière empathique. Mais je trouve que c’est justement là la force du roman. C’est par ce biais que Cavalli nous plonge en tant que lecteur dans le cynisme et l’horreur de ce que peut être la société quand elle cède à la peur, et quand la politique répond aux logiques capitalistes et aux dérives populistes. Mais c’est aussi comme cela que l’auteur nous fait questionne en tant que citoyen sur notre place dans la société.

Et si je ne vous ai pas encore convaincu.e de commencer A l’autre bout de la mer, sachez que j’avais emprunté le livre à la bibliothèque mais que j’ai décidé de me l’acheter après l’avoir lu car il était primordial pour moi de l’avoir dans ma collection personnelle. C’est dire si je trouve cette lecture indispensable.

Pour découvrir d’autres avis sur ce livre (qui, attention, peuvent dévoiler beaucoup plus de l’intrigue que je ne l’ai fait) je vous invite à découvrir les chroniques de Mangeurdelivres, de Quintessencelivres et de Célittérature.