Normal People – Sally ROONEY

Deuxième roman de Sally Rooney paru en 2018 et traduit en français en 2021, best-seller et source d’inspiration de la célèbre série éponyme, Normal People est un livre qui a beaucoup fait parler de lui. C’est en effet un roman qui présente des éléments plutôt originaux et non conventionnels qui ont divisé ses lecteurs en deux avis opposés: je l’ai détesté – je l’ai adoré.

Quand j’ai commencé à lire Normal People je me suis sentie désorientée, j’ai tout de suite perçu que quelque chose clochait. Cela par contre ne m’a pas empêchée de continuer la lecture, avec un intérêt croissant et une attention particulière à certains détails insolites qui font de ce livre une lecture intéressante et de son autrice une écrivaine à surveiller. 

Mais une chose à la fois. D’abord la trame : ce roman raconte la vie de Marianne et Connell, depuis leur dernière année de lycée, jusqu’à la fin de l’université. Un arc temporel de dix ans dans lequel on parcourt les drames, les changements, les décisions et l’évolution des deux personnages principaux. Marienne et Connell sont amis, mais ils sont aussi amoureux.se l’un.e de l’autre. On les suit dans leurs tentatives de vivre cet amour, mais aussi de défendre leur amitié. On les voit avancer et faire les choix qui les définiront en tant que personnes (normales, possiblement) dans leur chemin vers la vie adulte. Normal People est, donc, aussi un roman de formation.

Dans ce récit, l’autrice utilise une narration non-linéaire : d’un chapitre à l’autre il peut y avoir un écart de deux semaines comme de six mois. La technique du flashback est souvent utilisée pour mettre en valeur le lien qu’il peut y avoir entre une décision du présent et une  » blessure  » du passé. Rooney choisit de ne pas donner à son récit un ordre chronologique propre et elle raconte l’histoire en procédant par allers-retours qui peuvent à la fois intriguer ou exaspérer le lecteur. 

Ce qu’on constate, par contre, c’est qu’il s’agit d’une décision délibérée : Sally Rooney n’a pas perdu les pedales. Non, elle décide d’abuser du flashback pour privilégier l’introspection au récit factuel. Cela parfois au détriment du lecteur (enfin, ça dépend du type de lecteur), qui peut se sentir perdu, qui doit faire l’effort (un petit effort, voyons) de raisonner sur le timing des événements, mais qui pourra, grâce à cela, entrer en contact plus intime avec les personnages et leurs monologues intérieurs. Il faut débloquer cette lecture afin qu’elle puisse vous fasciner.

Le choix de donner de l’importance et plus d’espace à l’introspection, se manifeste aussi dans la lente évolution de l’histoire factuelle.  Marianne et Connell sont tous les deux, au début du livre, deux adolescents avec leurs potentialités, leurs tabous, leurs traumatismes, leurs rêves. Il y a tous les éléments pour tisser un récit riche de révélations, de détournements et avec une vitesse progressive dans l’action… Surtout on sent que Sally Rooney en a les capacités, car dès les premières pages on respire sa forte personnalité et son charisme littéraire qui se reflète aussi dans des personnages intéressants, compliqués et très attachants. Et, pourtant, le lecteur a l’impression d’être dans la recherche constante de quelque chose de vraiment marquant, d’un changement important, un geste héroïque fait par un personnage, un acte, une prise de position, un enseignement, une morale. Bref, quelque chose qui amène l’histoire à son accomplissement et qui puisse, donc, apaiser le lecteur.

MAIS NORMAL PEOPLE CE N’EST PAS UN LIVRE FAIT POUR SATISFAIRE LE LECTEUR.

Et ceci est loin d’être un défaut mais est, au contraire, l’un des aspects les plus intéressants du roman. Le lecteur qui arrive vraiment à saisir la plume de Sally Rooney et à comprendre son projet de roman, pourra voir comment cette frustration, ce sentiment d’inachevé, n’est pas l’effet collatéral d’un style littéraire. Il s’agit d’un sentiment recherché par l’autrice et totalement en accord avec son idée de récit et son but littéraire : on parle de réalisme. La platitude ressentie dans le récit n’est là que pour refléter la lenteur de la vraie vie et de l’évolution d’une personne réelle. Dans leur histoire, les personnages de Normal People ne réagissent pas à leurs drames comme on pourrait s’y attendre, ils ne surmontent pas vraiment leurs traumatismes comme le héros d’un roman “ devrait le faire ”. Ce sont des anti-héros. Le but de Rooney n’est donc pas d’offrir des modèles, ni de montrer des possibilités de rédemption. Son approche (et son but aussi) est analytique. Son objectif est de fournir un miroir de la normalité et de ce que parfois on oublie être la normalité. 

Le grand thème qui habite ce livre est aussi une problématique latente dans les normal people : l’incommunicabilité. Ou, mieux, la difficulté de communiquer. 

C’est assez paradoxal, et donc intéressant, de voir comment un roman qui parle de ce sujet abrite énormément de dialogues.

La vraie histoire de ce roman se passe à l’intérieur des personnages, c’est-à-dire dans les dialogues et dans les monologues. Ce sont sans doute les parties les plus intéressantes et fascinantes du livre. Ils marquent une certaine originalité déjà par leur “ mise en page “ : pas de ponctuation, mais que des phrases successives, ce qui rappelle le style de Saramago (pensons à Aveuglément, où l’écrivain portugais transcrit les dialogues sans aucun guillemets, en créant un sentiment de désorientation dans la lecture, voire  » d’aveuglément « ).

Le lecteur s’immerge dans des dialogues directs très serrés et rapides. Il arrive de se perdre parmi les interlocuteurs, mais ce n’est pas grave ! Un lecteur oisif se plaindra de devoir souvent revenir en arrière pour rattraper le fil de l’échange ; un lecteur attentif et sagace comprendra le style de Rooney et son but : nous faire plonger dans un véritable flux de conscience, qui reste valable (et utile pour ceux qui souhaitent faire de la psychothérapie) même si on laisse de côté la trame et les personnages. 

NORMAL PEOPLE SE RÉVÈLE ÊTRE UN ROMAN EXPÉRIMENTAL

Tout cela ne fonctionnerait pas si ce n’était pas supporté par un grand talent d’écriture.

La plume de Sally Rooney est pareil à l’acupuncture : des mots simples qui se révèlent efficaces et perturbants grâce au moment où elle choisit de les utiliser. Atteindre une telle efficacité en employant un vocabulaire essentiel et une syntaxe parfois lapidaire est une tâche très difficile. Cette jeune autrice y arrive magistralement, en conférant aussi un côté cinématographique à son écriture, ce qui, à mon avis, a permis à la série inspirée du roman de rencontrer autant de succès. 

Pour conclure, Normal People est un excellent roman qui mérite le temps d’un lecteur attentif. Son autrice se démarque par sa plume intelligente et très contemporaine. Je suis très curieuse de lire son dernier livre, Beautiful World, sorti en 2021 mais pas encore traduit en français. La question que je me pose est la suivante : sera-t-il à la hauteur de celui-ci, ou prendra-t-il la forme d’un livre “sympa” mais médiocre, objet d’un succès pas assez mérité, comme c’était le cas de son premier Conversation entre amis ?  

 

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